Gerhard Uhlig (1924 - 2015) a fréquenté la classe de Baumeister de 1949 à 1950. A partir de 1952, il enseigna l'art dans les écoles, avant de devenir en 1969 directeur des études à Münster.
Pendant mes études d'art (pour l'enseignement de l'art dans les lycées), j'ai eu deux professeurs qui ont particulièrement influencé ma conception de l'activité artistique, J. Hegenbarth et W. Baumeister. Tous deux étaient des travailleurs, les manières affectées d'artiste leur répugnaient.
Travailler signifiait pour Baumeister s'engager pleinement et avec la plus grande intensité pour les objets qui font passer l'information du tableau, et travailler régulièrement, de manière organisée, dans le cadre d'une durée donnée comme pour toute personne exerçant une activité professionnelle. Baumeister pouvait se fâcher dès qu'un étudiant prenait des libertés avec le temps de travail et il n'hésitait pas à exprimer clairement son mécontentement à la personne en question.
Les signatures sur les tableaux ou sur les études de ses élèves étaient mal vues. À ses yeux, les signatures étaient le signe de quelque chose de fini, d'achevé, de quelque chose qui excluait la correction. Signer, pensait Baumeister, était le fait de quelqu'un qui n'a pas besoin d'être enseigné ; celui-là doit savoir que la signature est pour le spectateur un signe de qualité. Les apprenants qui signent n'ont pas une compréhension suffisante de ce qu'ils sont capables de faire. C'est l'exercice qui doit être prépondérant, et non pas le tableau fini. Cette attitude de Baumeister produisait chez nous plus d'acuité dans notre auto-critique et le sentiment de la responsabilité que nous avions vis-à-vis du spectateur/consommateur.
La rigueur de la discipline de travail de Baumeister était associée à sa tolérance et à sa chaleur.
Nous pouvions aussi présenter des travaux figuratifs aux séances de correction, personne n'en était exclu pour autant, contrairement à l'attitude de certains autres enseignants de l'époque pour qui l'enseignement de Baumeister revenait à corrompre la jeunesse tandis que ses élèves leur semblaient une provocation.
Le fossé qui les séparait de Baumeister était manifeste. On l'évitait. Je ne le voyais jamais à la cantine avec ces gens, et pas non plus à d'autres occasions. Quand il prenait ses repas à la cantine, il s'asseyait toujours à notre table. Il partageait ses repas avec ceux qui étaient obligés de vivre chichement. Quant aux tartines que lui apportait à l'occasion sa fille, il ne les mangeait pas non plus seul.
Le dimanche, le dimanche matin, on pouvait lui rendre visite si l'on s'intéressait d'une façon ou d'une autre à ses tableaux, que ce soit pour les acheter ou simplement pour les regarder. Les visiteurs venaient du monde entier, des pays européens ou non européens. Malgré la générosité que manifestait Baumeister lors de ces matinées, j'avais l'impression que c'étaient des figures imposées. Trop souvent les visiteurs espéraient des interprétations qui puissent correspondre à leurs attentes ; Baumeister n'en avait cure. Lors de ces matinées, il me laissa relativement souvent le soin de m'occuper de ces visiteurs sur le plan artistique. Ce qui était une vraie distinction pour moi.
L'enseignement de Baumeister m'a accompagné dans ma vie professionnelle, non pas que je l'aie reproduit, mais parce que je l'ai poursuivi. Il a influencé mon propre travail artistique, d'abord, et surtout la mission didactique qui était la mienne en tant que professeur d'art au lycée, puis responsable de la discipline [fonction équivalente à celle d'inspecteur pour une discipline dans une académie] à Münster, avec un champ de compétences qui s'étendait à toute la Westphalie, et de plus en tant que directeur de la formation continue (pour les professeurs d'art des lycées).
S'il me fallait énumérer les devises que je retiens de l'enseignement de Baumeister, j'insisterais sur les points suivants :
- l'enseignement artistique réclame de l'objectivité. Il doit s'efforcer de brouiller le moins possible la transmission de l'objet artistique au spectateur/interprète
- ce n'est qu'ainsi que la sensibilité (je veux dire par là la réception et la transmission d'un stimulus des sens jusqu'à un organe central, où entrent alors en jeu la perception et la réflexion), la perception et la réflexion peuvent se réunir pour former une unité de sens et déclencher un acte pratique
- la sensibilité suppose la réflexion ; la réflexion est impossible sans sensibilité
- l'entraînement de la sensibilité est une condition indispensable, aussi indispensable que celui de la réflexion
- là où l'on a négligé d'entraîner la sensibilité, il faut nécessairement que soient réfléchies davantage de données sensibles acquises par le biais théorique. D'où une stagnation de la créativité ; la créativité est la condition de nouvelles formes de sensibilité et de perception
- l'art offre du fait du vaste champ de liberté non utilitariste qu'il implique, un grand nombre de nouvelles formes de sensibilité et de perception. Il encourage la sensibilité de certains champs sensibles et élargit la capacité de réception et d'assimilation de l'homme. Ce faisant, la composante esthétique dans les œuvres de création est la médiation sans laquelle aucune perception n'est possible. Là où elle se voit banalisée ou réprimée, la porte est ouverte à toutes les manipulations
- la composante esthétique a une haute valeur sociale et politique, ainsi que pédagogique.
Pour le professeur d'art, ce ne sont pas les tableaux qui représentent le but de l'enseignement, mais l'élargissement des compétences de l'apprenant pour qu'il puisse se comporter de manière adéquate dans son environnement, et donc aussi face à des situations de création. Le tableau réalisé, le tableau mental également, constitue pour l'enseignant un contrôle de son enseignement. L'exercice est prépondérant car il montre à l'élève, mieux qu'un tableau fini, dans quelle mesure il a atteint l'un des buts de son apprentissage.
(Extrait d'une lettre à Wolfgang Kermer du 22 avril 1986, cité d'après Kermer 1992, p. 182 et suiv.)