Renouveau et modernité
Dans sa deuxième période, depuis la guerre de 1914-1918 jusque dans les années 1920, Baumeister dissocie le lien traditionnel entre la forme et la couleur. Sa peinture figurative s'épure pour tendre de plus en plus à l'abstraction, à des formes géométriques - les formes originelles au sens de Baumeister.
La fin de la guerre de 1914-1918 apporte de violents bouleversements dans la société mais aussi dans les arts et l'architecture. À partir de 1919-1920, Stuttgart devient pour quelques années, au même titre que Weimar/Dessau, Francfort ou Berlin, l'un des centres d'un renouveau des arts en Allemagne. Beaucoup d'artistes, dont Baumeister, considèrent ce changement comme une chance susceptible de déboucher sur un univers formel radicalement neuf.
Cette période est marquée chez Baumeister par une aspiration marquée à la modernité. L'art est alors pour beaucoup d'artistes la visualisation d'une nouvelle culture. Pour Baumeister, il s'agit d'une part de se détourner de tout historicisme, et d'autre part d'inventer des modes d'expression susceptibles de refléter les changements dans la société, voire même de les précéder à travers un art d'avant-garde.
Aux limites de la non figuration
Les thèmes sur lesquels travaille Baumeister entre 1919 et 1927 environ s'articulent autour de la figure humaine. Comme un grand nombre de ses collègues, en quête de positions conformes à l'esprit du temps, il se tourne vers l'abstraction. Parallèlement à des artistes comme Kandinsky, Malevitch ou Mondrian, Baumeister emprunte, au seuil de la non figuration, une voie qui prête à la forme et à la couleur une complète autonomie.
L'ensemble des Énergies de surface (1920-1926) illustre la manière dont il s'efforce de trouver, dans la tension des moyens picturaux, un équilibre purement constructiviste excluant tout mimétisme. En même temps, le titre du dessin Figure assise (1926), montre bien qu'il s'agissait pour lui de Figurations, c'est-à-dire de la mise en oeuvre d'un principe d'organisation qui avait également une dimension humaine, et ainsi également sociale.
La relation entre construction et figure (humaine) est particulièrement bien illustrée par les Tableaux-murs.
Tableaux-murs
C'est dans ce qu'on a appelé Tableaux-murs, que l'on voit pour la première fois apparaître le style personnel de Baumeister. Des compositions de figures reposant sur les éléments de base que sont rectangle, triangle et cercle sont réunis dans une structure - effectivement ou seulement en apparence - en relief. Ces compositions directement liées à l'architecture valent aussitôt à l'artiste la reconnaissance internationale. À la différence de l'expressionnisme allemand, que Baumeister récuse, cet art n'a rien de mystique. Il reste purement objectif et vise structurellement et matériellement à établir une relation avec l'architecture : J'imaginais une nouvelle architecture comme support de ces tableaux-murs, une architecture qui n'existait pas encore à l'époque (Baumeister 1934).
La figure humaine, dans sa stéréométrie, devient pour Baumeister le symbole de la construction originelle de toute chose visible. À cette époque, toutes les formes que prend son travail - les pièces figuratives abstraites et les pièces non-figuratives - se rejoignent dans cette même conception de l'art. Éléments horizontaux, verticaux et diagonaux, formes rondes et anguleuses se combinent en une forme idéale. Les compositions reposent sur des centres de gravité qui peuvent être des points ou des axes. Les contrastes chromatiques permettent de souligner les structures en relief qu'il renforce dans les tableaux à l'huile en utilisant le papier mâché, des morceaux de carton ou de contreplaqué, ou des feuilles de métal, manifestant ainsi son affinité pour le cubisme.
Homme nouveau, sport et machine
Le principe tectonique présidant à la construction de ses tableaux, Baumeister le conçoit comme le synonyme de l'édification d'un monde nouveau reposant sur des formes originelles - un monde de simplicité et de clarté. Ce propos est souligné à plusieurs reprises par la référence au dieu Apollon, symbole de la pureté et de la modération des murs, mais aussi des arts.
L'idée d'une modernité reposant sur des structures élémentaires prend forme également dans l'ensemble des tableaux-machines ainsi que dans un grand nombre de motifs tournant autour des artistes et du sport. Ces derniers sujets se trouvent déjà en germe dans les Joueurs d'échecs (1924-1925) ou dans Hockey (1924), avant de devenir déterminants vers la fin des années 1920, comme par exemple avec les Peintres.
Le groupe d'oeuvre caractéristique du milieu des années 1920, Homme et machine, présente un principe de construction comparable à celui des tableaux-murs. La composante de la figure reste reconnaissable, mais, dans sa référence explicite à la figure humaine, elle apparaît en retrait par rapport aux rouages et boîtiers (Machine avec carré rouge, 1926), quand elle n'est pas complètement éliminée comme dans Machine (1925). Dans Figure et segment de cercle (1923), Baumeister souligne la relation entre l'homme et la machine et la combinaison de leurs deux énergies en prolongeant en vis l'axe de la figure humaine.
Dans la bonne direction
Cette phase est fondamentale pour le travail de Baumeister. Les succès qu'il remporte lui montrent qu'il est sur la bonne voie. De nombreux aspects techniques ou thématiques qu'il a développés au cours de cette période, réapparaîtront à plusieurs reprises dans son oeuvre. Ill s'agit notamment, outre le travail sur la surface et le plan et la recherche des états originels de l'art, de la construction en relief et de l'accent mis sur la matérialité que permet l'utilisation de certains matériaux supplémentaires (plus tard le sable et le mastic).
Bien des aspects de cette peinture s'annoncent certes vers 1925, mais ne se manifestent clairement que plus tard, comme la ligne en mouvement d'Échecs (1925) ou l'accentuation parfois plus nette de la ligne et du contour par rapport à la surface colorée.