L'oeuvre dessiné de Willi Baumeister, qui comporte environ 2300 feuilles connues, est aussi vaste que son oeuvre peint. Et ce bien que peu de feuilles des premières années soient conservées dans la mesure où il a lui-même détruit de nombreux travaux.
À la différence de beaucoup d'autres artistes, les dessins de Baumeister qui sont conservés ne doivent que rarement être considérés comme les étapes préparatoires à la réalisation d'un tableau. Quand il préparait un tableau par une esquisse, il le faisait généralement sur la toile ou sur le carton directement. L'idée d'esquisses préparatoires aurait également été à l'opposé du principe de Baumeister selon lequel le processus de création était continu pendant le travail. Bon nombre de dessins en revanche doivent souvent être compris comme des croquis de mémoire ou des croquis de démonstration d'une création picturale terminée. Quoi qu'il en soit, la plupart des dessins de Baumeister - comme il l'a formulé lui-même en 1942 - peuvent entièrement remplacer un tableau terminé.
Parmi les techniques utilisées prédominent le dessin au fusain, à la craie ou à la mine de plomb, plus rarement les pastels, les crayons de couleur ou la gouache. Corrélativement, le nombre des travaux monochromes est nettement plus important que celui des pièces en couleurs - en particulier dans les années qui suivent la fin de la deuxième guerre. Il ne faut naturellement pas oublier, dans ce contexte, l'utilisation délibérée de papier teinté.
L'évolution de Baumeister comme peintre, qui alla souvent de pair avec des modifications dans l'utilisation des moyens picturaux, peut en règle générale s'observer de la même façon dans l'oeuvre dessiné. Il est intéressant, en l'occurrence, que parfois il ait dû traduire, comme c'est notamment le cas pour les structures en relief et la matérialité des tableaux-murs (1919-1924) qu'il transpose parfois en dessin sous forme de collage.
Plus tard, les frottages et d'autres techniques d'estompe lui donneront la possibilité de reporter sur le travail graphique les valeurs chromatiques du tableau.
Aux yeux de Baumeister, la peinture et le dessin revêtaient une valeur comparable au sein du travail artistique. Il a un jour dit de ses dessins qu'ils étaient son plus grand trésor. Il y a cependant eu des phases au cours desquelles il s'est consacré davantage au dessin et au travail graphique, lorsqu'il était professeur à Francfort ainsi que pendant les dernières années de la guerre avant 1945. Dans le premier cas, Baumeister avait moins de temps pour le travail sur le chevalet, dans le second il était obligé de se tourner vers d'autres techniques que la peinture du fait de la pénurie de toile et de peinture à l'huile.
Les chemins de la forme
Au début de l'évolution artistique de Baumeister, entre 1911 et 1914, il existe de nombreuses études de « Figures dans le paysage » qui illustrent surtout sa réflexion sur Cézanne. L'élément spatial qui est encore présent à cette époque, disparaît largement à partir de 1918.
Les dessins de la période entre 1919 et environ 1926 présentent les mêmes principes que les tableaux-murs et que les tableaux-machines qui les suivent de près : des compositions géométriques qui manifestent toujours une tentative de définir le motif par la ligne et la surface et non pas par la corporéité. Quelques rares essais tendant à l'abstraction accompagnent les figures. En revanche, les travaux qui montrent une approche plus plastique de la figure humaine, seront autant que possible détruits plus tard par Baumeister.
De la construction au mouvement
Comme il le fait dans sa peinture, Baumeister dépasse progressivement à partir de 1926 l'immobilité constructiviste qui figeait jusque-là ses figures. Cette évolution est manifeste tant sur le plan artistique que sur le plan thématique. Jusque tard dans les années 1930, ce sont les « Tableaux de sport » qui dominent son travail. Réponses formelles au mouvement des joueurs de handball et de tennis, des gymnastes, coureurs et sauteurs, les lignes se font plus fluides et plus organiques, les compositions plus animées et plus nuancées dans leur tonalité.
En même temps, le degré d'abstraction reste élevé, ce qui apparaît particulièrement nettement dans les dessins des années au cours desquelles Baumeister dut se limiter au strict nécessaire - jusqu'aux tentatives les plus récentes pour renvoyer la figure humaine presque entièrement derrière la structure de la surface. Pour soutenir l'évolution des moyens plastiques vers une composition plus vivante, il a désormais souvent recours à l'estompe, aux hachures et au papier teinté.
« L'inconnu » se fraie un chemin
Après son brusque renvoi de l'École d'art de Francfort en 1933, on constate peu à peu une modification des thèmes et des formes de son art. Même si certains dessins présentent encore, des années plus tard, les principes formels d'autrefois. Pourtant la césure obligée dans ses activités artistiques ne fait qu'accélérer la production de travaux graphiques, d'autant plus qu'à partir de 1941, il n'y a guère plus de toile et de peinture à l'huile. L'interdiction de peindre et d'exposer qui le frappe en 1941 est un facteur supplémentaire.
Un élément essentiel de l'évolution de ses dessins jusqu'en 1945 est le travail qu'entreprend Baumeister sur les textes antiques et sur l'archéologie, qui le fascine de plus en plus et le fait progresser dans son manuscrit sur « Das Unbekannte in der Kunst » [L'inconnu dans l'art], qui sera publié en 1947. De ce fait, l'univers thématique de son travail est souvent en rapport avec l'Afrique, mais surtout avec les scènes de l'Ancien testament.
On retrouve ces thématiques dans de vastes séries d'illustrations, par exemple sur l'épopée de Gilgamesh (1943) avec plus de 200 dessins, le Livre d'Esther (1943, env. 100 feuilles) ou Saül (1943). Ces figurations proches des reliefs, avec une forte référence au plan et à la surface, déterminées généralement par la ligne, permettent à Baumeister de renouer directement, sur le plan de la forme, avec les travaux réalisés entre 1930 et 1935. Au niveau du contenu, les motifs, profonds et oppressants, renvoient toutefois aux circonstances particulières de l'époque. Ces illustrations font seulement rarement référence aux mêmes sujets dans la peinture.
Il en va autrement des tableaux d'Afrique avec leurs nombreuses figures, qui présentent des correspondances avec quelques dessins au fusain vers 1941. De plus, la naissance de la vie et ses métamorphoses, qui constituent chez Baumeister une autre approche des origines, sont des sujets qui, entre 1938 et 1942, apparaissent non seulement dans les tableaux mais aussi dans de nombreux dessins regroupés sous le nom d'Eidos.
Dans tous ces cas, l'accent mis sur la surface est l'élément déterminant. Les contours marqués produisent une construction en relief, tandis que l'estompe crée des effets quasi picturaux.
En interaction avec la peinture
Après la fin de la guerre, en 1945, et avec la nomination comme professeur à Stuttgart en 1946, l'oeuvre dessiné devient se réduit progressivement à partir de 1947.
Les thèmes dominants de cette époque restent cependant souvent dans la ligne des années de guerre : des figures primitives et des géants, des murs de figures et des formes originaires ainsi que des figurations en relief. Sur le plan technique, Baumeister reste d'abord fidèle aux principes éprouvés. Estompe, frottage, papier teinté, contours marqués, économie de la couleur caractérisent ce travail. Comme dans sa peinture, la palette s'éclaircit cependant au moins par endroits, et bon nombre de compositions se font plus légères, comme le montrent les dessins de « Harpes » et de « Figures solaires» ainsi que l'utilisation de techniques de frottage.
Pendant les dernières années, Baumeister se consacre davantage à la couleur et au grand format dans sa peinture, ce qui se manifeste également dans son travail dessiné.
Dans de nombreux motifs des séries « Montaru » (1954) qui présentent de petites surfaces traitées dans les couleurs fondamentales et groupées autour d'un centre sombre, ou bien dans les différents dessins « Safer », dans des tons de jaune (1953), Baumeister est à la recherche de l'expression adéquate en dessin. C'est particulièrement le cas pour la sérigraphie des dernières années.
Du dessin au signe
C'est tout particulièrement dans le dessin que se manifeste chez Baumeister l'idée de l'image comme signe, et ce à travers toute sa production. L'élément calligraphique, qui distingue le dessin de la peinture, était pour Willi Baumeister l'une des grandes clés de l'art. Pendant les périodes difficiles notamment, à un moment où aucun autre moyen d'expression ne se trouvait à sa disposition, il atteint, dans les séries d'illustrations de la Bible, à des sommets en termes d'analogie entre dessin et signe. Mais dans les autres phases également, le dessin lui fournit toujours la possibilité, grâce à la concentration des moyens, d'approcher au plus près les lois de l'art et des phénomènes.